Utérus bi… Quoi ?

Utérus bi… Quoi ?


Texte illustré par Sophie.

Patiente recherche gynécologue emphatique

Après un déménagement et plus d’un an sans consultation gynécologique, je décide de me reprendre en main et conviens d’un rendez-vous avec une nouvelle gynécologue de ma ville. Habituée pendant cinq ans à voir la même personne, j’appréhende cette nouvelle rencontre. Je me rends le jour J dans un hôpital privé que je trouve au premier abord gris et froid. Pendant la consultation, je prends le soin de faire l’historique de mon passé gynécologique pour que la nouvelle praticienne ait toutes les informations : je liste toutes les pilules que j’ai essayées et qui m’ont causé – pour certaines – des crises de tachycardie : palpitations, nausées, vomissements, étourdissements pour un réveil brutal toujours entre 4h et 5h du matin. Et puis ma nouvelle pilule – censée être mauvaise car de 3e génération – qui finalement me convient. Tout y passe ! Pendant le rendez-vous, j’essaye de me rassurer et d’instaurer une nouvelle relation de confiance. Mais cette volonté est très vite évincée…

Gynécologue antipathique, bonjour !

Pendant l’examen dit de “routine”, c’est la dégringolade… Très calmement, elle me demande si mon vagin présente une particularité ou une anomalie. Paniquée, je lui réponds que non, jamais aucun diagnostic n’a été dans ce sens et lui demande  – à mon tour – pourquoi ces interrogations. Ses propos m’inquiètent et elle ne me répond qu’à demi-mots, en me signalant qu’elle a “cru sentir quelque chose de bizarre”. Comme c’est rassurant toutes ces incertitudes qu’elle laisse planer!… Elle décide donc de me faire sur le champs une échographie pelvienne pour en savoir plus. C’est la première fois que je passe cet examen, je suis effrayée et assommée par ce fameux “quelque chose” qu’elle cherche à tout prix à trouver. À aucun moment – aucun – elle ne prend la peine de me demander si j’ai déjà passé cet examen ou de m’expliquer ses gestes. Très maladroite et à la conquête de « quelque chose » qu’elle ne parvient pas à trouver, elle se montre froide et détachée… J’ai l’impression qu’on fouille en moi, qu’on examine mon intérieur sous toutes ses coutures. Bien qu’elle soit gynécologue, accoucheuse et chirurgienne obstétricienne, elle finit par me dire : « Vous savez, je ne suis pas une experte des échographies. Il va falloir que vous voyiez quelqu’un.e de spécialisé.e ». Toujours aussi rassurant… Puis, tout en continuant à manipuler son outil avec de grands gestes, elle m’annonce très calmement que j’ai – selon elle -un utérus bicorne, c’est-à-dire deux cols de l’utérus. Quel mot barbare. Puis elle me sourit enfin pour me dire que si je souhaite avoir des enfants : “Ce n’est pas grave, je les ferais d’un côté ou de l’autre”. Elle lâche ces mots sans aucun tact et sans m’expliquer ce que cela implique réellement… Comme je n’ai pas fait de frottis depuis un moment, elle m’en fait un, puis un deux (oui oui), vu qu’elle voit deux cols… Les manipulations se terminent enfin et mon corps peut de nouveau un peu souffler. Je me rhabille, encore sous le choc. Je m’interroge et lui dis : “C’est tout de même étrange, j’étais suivie par un gynécologue pendant 5 ans et il n’aurait rien remarqué ?”. Et là, toujours aussi détachée et face à son écran d’ordinateur, elle me dit : “Oh, je me trompe peut-être hein…”. Toujours ces incertitudes… Sous le choc, je ne rétorque même pas. J’encaisse, sans rien dire… Mon corps est pris en otage par cette personne et son jargon médical, par son manque d’empathie. Je bouillone à l’intérieur : je ne suis pas un numéro de dossier, ni un compte en banque ! Je suis une humaine et ressens des tonnes d’émotions, mais rien n’y fait… Cet endroit est monstrueusement glacial… Elle me prescrit deux examens : une échographie pelvienne et une échographie rénale. Elle ne me dit rien de plus et rédige froidement les ordonnances. Je tente de reprendre mon souffle et retiens mes larmes, pour lui (re)demander si une grossesse est envisageable avec ce type de malformation. Elle me répond – toujours aussi rassurante et chaleureuse  : “Je ne peux pas vous répondre, il me faut les résultats de vos deux échographies”. Je finis par payer la consultation, prends mes ordonnances, les range minutieusement dans mon sac, lui serre la main et sort.

À aucun moment – aucun – elle n’a cherché à me rassurer, ni même à établir le moindre contact humain… Son geste le plus chaleureux a été celui de me secouer la main en me raccompagnant vers la sortie. Je suis venue pour un examen de routine et repars nauséeuse, le coeur serré par cette mauvaise nouvelle qui ne me quitte pas. J’ai l’impression qu’elle m’a arraché une partie de moi. Mon désir d’avoir un jour des enfants s’évapore, je suis anéantie. En sortant de la consultation, je me dirige machinalement à la caisse pour “payer l’addition” et prendre rendez-vous pour mes deux échographies. Je suis là sans être là, abattue. J’ai passé 3h dans cet hôpital privé, gris et froid… Je suis entourée de femmes, d’enfants et j’ai envie d’hurler alors que tout autour de moi appelle au silence, à la discrétion. Je me sens si seule… Je rentre enfin chez moi, l’air est lourd et je ne peux plus retenir mes larmes.

Les fins maux de l’histoire…

J’attends 2 semaines – interminables – pour en savoir plus, pour savoir si je suis  vraiment malade. C’est en tout cas comme ça que je me suis sentie ces deux dernières semaines : changée, bousculée, anormale. Je me rends de nouveau dans cet hôpital gris et froid, la boule au ventre. Je donne mon nom, mon ordonnance, ma carte vitale et m’assois dans la salle d’attente. Ma mère est avec moi et me soutiens de toutes ces forces. Mon tour arrive. Je m’installe et c’est reparti pour une autre échographie pelvienne. Je me sens piétinée, envahie… Après quelques minutes, je remarque que l’échographe a l’air interpellée. Je lui demande ce qu’il se passe, ce qu’elle voit. J’ai besoin de comprendre, j’ai besoin de mots. Et plus que ça, j’ai besoin qu’on me regarde dans les yeux, qu’on me parle réellement, pas qu’on me récite sa leçon. Je ne suis pas une étude de cas ! Avant de poser un diagnostic, elle essaie d’en savoir plus sur les conditions de la consultation que j’ai eu deux semaines auparavant, ce que j’ai subi car elle ne comprend pas. Elle m’explique que la gynécologue est partie à la conquête de quelque chose qu’elle a cru voir – et dont elle s’est persuadée – mais en fait, elle s’est trompée ! Elle finit par me dire  : “Vous n’avez rien. Rien de rien, vous êtes tout à fait normale !”. Et là, c’est la libération, je respire enfin!… J’ai envie de serrer cette femme très fort dans mes bras. Elle a la tête sur les épaules ce qui ne l’empêche pas d’être à mon écoute, d’être avec moi dans l’instant présent. Elle ne pense ni à la prochaine patiente, ni à la fin de sa journée. Elle est avec moi. Tout à coup, je me sens moins seule, moins abandonnée. Avant que je ne quitte cette salle, qui d’un coup reprend des couleurs (ou peut-être était-ce moi ?), elle me regarde et me sourit :”Ne vous inquiétez pas, tout va bien. Vous allez bien, tout est normal, ça va aller maintenant”.

Patiente ou cliente ?

En sortant, je retrouve ma mère, persuadée depuis le début que je n’avais rien mais qui prend peur en me voyant sortir de l’examen. Elle cherche un signal de ma part pour se sentir soulager, un soupir, un sourire. Mais rien… Je suis révoltée : mon corps, ma santé, ma vie ne sont pas à prendre à la légère. Je suis hors de moi. J’ai payé plus de 200€ et en l’espace de trois semaines j’ai cru que ma vie et tous mes projets seraient à jamais bouleversés. Je trouve cette situation odieuse et scandaleuse. Sûre de moi, je vais voir la secrétaire de la fameuse gynécologue et  lui donne mes résultats. J’en profite pour lui faire comprendre qu’il n’est pas nécessaire de reprendre rendez-vous, que je compte changer de médecin. Je ne suis pas cliente mais patiente ! Et à cet instant, j’ai l’impression de résilier un contrat, de faire une demande de remboursement pour insatisfaction de la prestation. A quel moment on a basculé de service à la personne à usine à gaz ? On parle de santé, d’affect, d’êtres humains ! J’ai toujours envie d’hurler, j’ai envie de faire un scandale et de la bousculer dans son petit bureau bien tranquille. J’ai envie de fracasser sa porte comme elle a fracassé mon intimité, mes rêves et mes espoirs.

Entre libération et liberté

En sortant de ce maudit hôpital, j’ai envie de crier ma haine à la Terre entière, j’ai envie d’écrire sur tous les murs de la ville à quel point cette soi disant spécialiste est incompétente, incohérente et dangereuse. Les jours passent, je reprends mon souffle et mes esprits. Je ferme les yeux, je prends le temps de respirer et de me sentir vivante. J’ai besoin de me retrouver, d’être de nouveau en phase avec mon corps dont on m’a fait douter. J’ai besoin de laisser derrière moi cette épreuve et de ne pas me laisser empoisonner par l’inquiétude, la peur, l’angoisse, la colère, la rage, l’amertume, le dégoût … Je décide de lâcher prise, d’avancer, de me concentrer sur ce qui compte vraiment pour moi. Je me répète tous les jours que je suis en bonne santé et que ce n’était “qu’un mauvais diagnostic”. Je n’ai pas subi d’opération, ça aurait pu être plus grave. Cette expérience a été très pénible, mais elle m’a fait prendre conscience de plein de choses : j’ai appris à remettre en question la parole d’un·e médecin·e, malgré son expertise et sa soi-disant autorité. J’ai appris à aller chercher les réponses aux questions que je me posais. J’ai appris à être à l’écoute de mon corps. J’ai appris à voir à quel point je ne suis pas seule. J’ai appris à transformer mes émotions négatives en positif. J’ai appris à me battre et à ne rien lâcher.

En savoir plus sur l’utérus bicorne, par ici.

Élisa.