Tampons bio et coupes menstruelles de nouveau mis en cause : pas de panique

Tampons bio et coupes menstruelles de nouveau mis en cause : pas de panique

Photos Getty Images. Montage Libération

Les tampons bio et coupes menstruelles sont de nouveau sur la sellette après la parution d’une étude relayée par l’AFP le 21 avril 2018 notamment sur Libération. Faut-il donc renoncer à ces alternatives ? Sûrement pas. Par contre il serait peut-être temps de financer nos propres études…

Le 21 avril n’est pas une date qui a toujours su nous proposer un bon choix. Oui, il y a une contrepèterie dans cette phrase qui parle de 2002 et maintenant que j’ai votre attention, on va pouvoir entrer dans le vif du sujet.

Ce 21 avril 2018, donc, une dépêche AFP (Agence France Presse) relayée par Libération a annoncé la parution d’une étude visant à déterminer si les tampons et coupes menstruelles avaient une influence sur le staphylocoque doré et la toxine TSST-1 responsables du syndrome du choc toxique. Sous le titre « Tampons bio et coupes menstruelles n’empêcheraient pas le syndrome du choc toxique », l’article commence fort en indiquant que « selon une étude américaine publiée vendredi, ces protections hygiéniques ne seraient pas plus saines que celles dites classiques ». On ne va pas se mentir : ça fait un peu mal aux yeux. D’abord, l’étude est certes publiée par l’American Society for Microbiology, mais elle a été réalisée en France par une équipe française dont fait partie le Pr Gérard Lina, microbiologiste à l’Inserm et à l’Institut des agents infections de l’hôpital de la Croix-Rousse (Lyon). Et il ne s’agissait pas de déterminer si les tampons et coupes en question étaient sains ou non dans l’absolu, mais s’ils pouvaient favoriser le développement du staphylocoque doré et de la toxine TSST-1 responsables du syndrome du choc toxique. Une maladie très grave mais heureusement très rare qui survient quand on porte quelque chose dans le vagin.

On rayonne de joie

L’idée était admise que les coupes menstruelles et les tampons bio étaient moins susceptibles de causer cette infection, parce qu’ils perturbent moins la flore vaginale. Mais l’étude n’a pas confirmé cette hypothèse, ce qui permet à Libé de proclamer en intertitre : « Les coupes menstruelles encore plus nocives que les tampons bio ». Un raccourci abusif selon le Pr Lina : « Je ne comprends pas cette allégation sur la plus grande dangerosité des coupes par rapport aux tampons, proteste-t-il quand je lui demande des explications. Ce n’est pas ce qui est écrit dans l’article. »

Le Pr Lina a le mérite d’être le seul en France à travailler sur ce sujet, avec des moyens passablement limités. C’est lui qui avait lancé en octobre 2016 la collecte de tampons usagés afin de comprendre pourquoi on assistait à une recrudescence du syndrome de choc toxique. En juillet 2017, des résultats  partiels avaient déjà été donnés lors d’une conférence de presse qui restera dans les annales comme un exemple de dérapage médiatique et néanmoins menstruel que j’avais essayé à l’époque de décrypter sur ce blog.

L’étude qu’on attendait est donc finalement arrivée, et elle laisse encore beaucoup de questions en suspens.

La bonne nouvelle que l’on peut retenir à la lecture de ces 29 pages écrites en globish, c’est qu’on sait enfin de quoi sont faits les tampons classiques. Alors voilà : les Tampax Compak® Super plus sont composés de rayonne et de coton, OB ProComfort® Super Plus sont composés de viscose et de de coton, les Nett® Procomfort Normal sont composés de viscose seule, et les Natracare Regular bio de coton uniquement.

Ces produits font partie des 15 échantillons qui ont été testés (11 tampons et 4 coupes menstruelles). Mais alors, comment ont-ils donc été faits, ces tests ?

Balance ton cerveau de porc

Et bien c’est simple comme chou : en fourrant lesdits produits dans des sacs en plastique suivant un protocole qui reproduit « au plus près » les conditions physiologiques. Je ne sais pas si un.e enfant ou un.e ami.e des animaux est penché.e sur votre épaule mais si c’est le cas, je vous suggère de l’éloigner le plus rapidement possible. Car le milieu de culture utilisé, le BHI est un bouillon de cerveau et de cœur de bœuf ou de porc enrichi de différents nutriments dans lesquels on peut cultiver des micro-organismes. Ne croyez pas que ce soit exceptionnel, au contraire, c’est la procédure standard. « L’avantage du BHI, explique Gérard Lina, c’est que n’importe quel laboratoire peut reproduire facilement les expériences et donc les vérifier, et que la croissance du staphylocoque est quasi similaire dans le BHI et dans les extraits de fluides vaginaux tampons que nous avons testés. »

Ce qui ressort de l’étude est que les fibres moins serrées du coton bio et les coupes menstruelles favorisent le développement du staphylocoque doré car elles procurent plus d’oxygène. L’étude du biofilm déposé sur les coupes menstruelles montre également qu’il reste des traces de staphylocoques après un simple lavage. Mais la conclusion générale à retenir est la suivante : AUCUN dispositif vaginal n’augmente la production du staphylocoque doré de façon significative selon cette étude, alors que 30 à 40 % des femmes sont porteuses de cette bactérie dans le vagin, et parmi elles 10 % de la souche qui produit la toxine TSST-1. Pour comprendre ce qui effectivement produit des syndromes du choc toxique, il va falloir aller plus loin.

La flore de mon secret

Dans une précédente étude menée aux Etats-Unis par le professeur Tierno, les résultats avaient été sensiblement différents. Les tampons en coton, moins absorbants, semblaient empêcher le développement du staphylocoques. Pourquoi ? Peut-être parce que le bouillon de culture avait été enrichi de levures pour « imiter » la flore vaginale, qui fait barrage à l’infection. Cette flore est en effet au cœur du processus qui a conduit à l’explosion du SCT en 1979, avec la mise sur le marché d’un tampon super absorbant par Procter et Gamble sous le nom de Rely, causant alors la mort de 38 personnes après 813 cas de syndrome du choc toxique. Je vous laisse imaginer ce qui se serait passé si une marque de préservatif ultra souple avait causé des chocs toxiques chez les individus porteurs d’un pénis qui en faisaient usage. Je ne crois pas qu’on se serait contenté d’une indication sur les emballages. Mais ceci est une autre histoire. Ou pas.

Quoi qu’il en soit, l’étude qui vient d’être publiée a fait l’impasse sur la flore vaginale. « Nos analyses préliminaires des microbiotes de tampon obtenues grâce à la récente collecte montrent qu’il y a plus de 100 autres espèces bactériennes avec parfois des lactobacillus et
des levures, mais pas de façon constante, explique le Dr Lina. De plus l’analyse de tampon de patiente ayant développé un choc montre que le lactobacillus ne suffit pas pour protéger et des analyses in vitro montrent que certaines levures favorisent la croissance du staphylocoque et la production de toxine… »

Malheureusement, ces observations ne figurent pas dans l’étude publiée, car l’article correspondant est en cours d’évaluation dans une autre revue scientifique. En conclusion, les auteurs conseillent de faire bouillir les coupes après chaque utilisation (pour détruire le biofilm), et de réduire les temps de port à 4 ou 6 heures au maximum quel que soit le dispositif, coupe ou tampon. Un principe de précaution que plusieurs fabricants de coupes menstruelles ont décidé de mettre en application. La durée de 12 heures qui était jusque-là préconisée pourrait donc être raccourcie, et les modes d’emplois revus de façon à proposer une utilisation de coupe stérilisée pour chaque usage – et non comme cela se faisait jusqu’à présent pour chaque cycle, avec un simple rinçage à l’eau claire entre chaque pose.

1 euro par mois

Alors que l’on découvre l’importance du microbiote vaginal pour la santé sexuelle et reproductive, alors que les fabricants rechignent toujours à donner la composition de leurs tampons malgré une pétition signée par plus de 300 000 personnes, alors qu’on y a trouvé de la dioxine, du glyphosate et autres résidus toxiques susceptibles d’être des perturbateurs endocriniens, l’industrie des protections périodiques (qui représente, je vous le rappelle 26 milliards d’euros par an) n’a pas jugé bon de mener des études approfondies et transparentes sur l’impact de leurs produits pour la santé des femmes, et on a la désagréable impression de naviguer à vue.

Mais puisque 16 millions de femmes ont leurs règles chaque mois en France, il serait peut-être temps de prendre en main cette question en créant une coopérative menstruelle. Après tout, avec la baisse de la TVA sur les protections périodiques de 20 % à 5,5 % en décembre 2015, les tampons et serviettes doivent nous coûter 15 % moins cher (si les fabricants ont joué le jeu, sinon l’Etat leur a fait cadeau d’un joli paquet de pognon).

Imaginons. Si on mettait 1 euro par cycle et par personne de côté, on réussirait à dégager 16 millions d’euros par mois. Avec 16 millions par mois, je dis qu’on pourrait faire des recherches scientifiques approfondies sur le microbiote vaginal, sur l’endométriose, sur les cancers génitaux. Avec 16 millions par mois, je dis qu’on pourrait financer les Maisons des femmes qui existent, à Montreuil ou ailleurs, pour accueillir et accompagner les femmes victimes de violences, et en construire des dizaines d’autres. Avec 16 millions d’euros par mois, je dis qu’on pourrait mener de nombreux projets pour lutter contre le racisme systémique de notre pays. Avec 16 millions d’euros par mois, on pourrait peut-être même financer une campagne présidentielle afin d’élire une féministe en 2022 à l’Elysée ! Et, cerise sur le gâteau : je parie qu’on pourrait même trouver un remède contre le cancer de la prostate. Alors, on commence quand ?

Élise Thiébaut.