Pourquoi faut-il se regarder la chatte ? Une introduction à l’auto-gynécologie

Pourquoi faut-il se regarder la chatte ? Une introduction à l’auto-gynécologie


Illustré par Alice Does.

Il y a des personnes qui vont chez læ gynéco à la puberté, qui prennent une pilule qui leur convient toute leur vie. Il y a des personnes qui vont passer de médecin en médecin pendant des années, que l’on traitera de fragiles et qui, sept ans et demi après, trouveront quelqu’un·e pour leur annoncer qu’elles souffrent d’endométriose. Il y a des personnes qui souffrent de dépression pendant des années avant de réaliser que la cause est leur contraception hormonale. Il y a des personnes qui ont des mycoses à répétition et qui passent leur temps entre le cabinet médical et la pharmacie. Il y a des personnes qui ont peur d’aller voir læ gynéco car elles ont subi des violences médicales, ou parce qu’elles ont honte de leur corps. A toutes ces personnes et à toutes celles qui en possèdent une, je dis : regardez vous la chatte.

© Alice Does

Parce qu’on nous apprend à en avoir honte et que le privilège de la regarder revient à d’autres personnes. Parce que l’on devrait être capable, comme le dit si bien la sorcière et alter-gynécologue Pouci Drahma, de “dire à notre médecin·e si notre utérus a le col rouge, ou si l’on sent une odeur bizarre, comme lorsqu’on a un rhume”. Parce que c’est un bout de nous dont la connaissance nous a été retirée par des siècles d’une science sexiste et raciste. Car oui, la gynécologie est à l’intersection de nombreuses oppressions, et s’éduquer à son anatomie et à son histoire, c’est une façon de se réapproprier son corps et les libertés qui lui ont été retirées. Se regarder la chatte, c’est déjà un acte profondément militant.

© Alice Does

L’histoire misogyne et coloniale de nos chattes

[TW : mention de violences obstétricales et torture]

L’auto-gynécologie dans le mouvement féministe a de nombreuses histoires et une raison : la gynécologie et l’obstétrique telles qu’elles le sont aujourd’hui ont été bâties sur une misogynie et un racisme qui sont encore palpables de nos jours.

Avant d’être ce qu’elle est aujourd’hui, la gynécologie était pratiquée par des femmes du peuple pour le peuple, grâce à des connaissances qu’elles avaient amassé à travers leurs expériences empiriques mais également le contact avec d’autres femmes soignantes. C’est en effet ce que révèlent Barbara Ehrenreich et Deirdre English dans le livre Sorcières, sages-femmes et infirmières : ces soignantes, appelées “sorcières” parce qu’elles pratiquaient une science qui allait au delà de leur statut de femme, ont été poursuivies pendant plus de trois siècles (du XIVe au XVIIe) à travers toute l’Europe. Elles ont peu à peu été remplacées par une science masculine réservée à une élite éduquée et placées dans un rôle subalterne au médecin, celui de sage-femme ou d’infirmière.

© Alice Does

Après le remplacement des femmes soignantes par des hommes, l’histoire de la gynécologie moderne est pavée de sexisme et de racisme. Un exemple frappant de cette histoire est le contexte de l’invention du spéculum par James Marion Sims dans les années 1800. Cet homme, considéré aujourd’hui comme “le père de la gynécologie”, déclarait que travailler avec le sexe des femmes le dégoûtait. Il effectuait des expériences sans anesthésie sur des femmes noires esclaves dans sa clinique en Alabama, afin de développer des instruments et des pratiques de gynécologie qu’il pourrait recréer sainement sur des femmes blanches. Ce qu’il a fait pendant plusieurs années dans l’impunité totale. Ces violences immondes lui ont valu, entre autres, une statue érigée en son honneur à Central Park. Ceci n’est qu’une histoire parmi d’autres de l’exploitation des femmes, et plus particulièrement des femmes noires, par la gynécologie. Nous pouvons par exemple nous souvenir du scandale des avortements forcés sur l’Île de La Réunion dans les années 70, ou encore du protocole de “terme ethnique”, révélé en 2012 par Priscille Sauvegrain, qui forçait des femmes noires dans les hôpitaux d’Ile-de-France à accoucher par césarienne.

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Bien sûr, l’injustice qui a marqué l’histoire de la gynécologie moderne n’est pas une nouveauté, et les mouvements féministes de la seconde vague (en particulier) prônaient déjà une réappropriation des actes de médecine à travers le mouvement self-help (ou s’aider soi-même/bienveillance envers soi-même). Dans la préface de son livre Manuel de gynécologie naturopathique, Rina Nissim explique que ce mouvement est né de la prise de conscience de l’immense dépossession de savoir et de pouvoir dont les soignant·e·s ont été victimes au profit de la caste des médecins, qui ont participé à l’expropriation des corps féminins. Des personnes voulant se réapproprier ce savoir se sont donc rassemblées et organisaient entre autres des réunions d’échanges de savoirs, des ateliers d’auto-examen mais également apprenaient à pratiquer un auto-avortement. Elles ont créé des cliniques où elles administraient des remèdes naturels et accompagnaient des personnes dans leurs parcours gynécologiques. Ce mouvement a peu à peu disparu, mais il reprend de la force aujourd’hui, à une époque où l’on commence à se méfier des contraceptions hormonales et où l’on remet en question ce qui nous était présenté comme un fait.

L’auto-examen vulvaire et vaginal

C’est tout simple : pose-toi tranquillement dans ton lit/canapé/salle de bain, armé·e d’un miroir, d’une lampe et d’un spéculum, que tu peux trouver facilement sur internet.

Pour te regarder la vulve, tu as besoin que d’un miroir et d’une lampe frontale pour avoir les mains libres : place le miroir entre tes jambes, mets ta lampe en place et fais connaissance ! Pendant que tu observes les couleurs, les textures, la taille des grandes et petites lèvres et si ton clitoris est – ou non – caché sous son capuchon (toutes les variations sont normales !), recherche rougeurs, taches, bosses qui te paraîtraient inhabituelles. Le Dartmouth-Hitchcock Women’s Health Resource Center recommande de s’auto-examiner tous les mois, comme pour l’auto-examen des seins.

© Alice Does

L’examen vaginal te permet de voir tes parois vaginales et ton col de l’utérus. Avant de commencer, familiarise-toi avec la façon dont s’utilise le spéculum, comment il s’ouvre et se ferme. Installe-toi confortablement, écarte les jambes et relaxe toi. Pour faciliter l’insertion, tu peux lubrifier le spéculum. Une fois qu’il est inséré, tu peux regarder l’intérieur. Si tu ne voies pas ton col de l’utérus, qui a une forme ronde, avec un trou au milieu et qui est rose ou rouge-orangé, déplace votre spéculum (un peu à gauche, à droite, vers le haut ou le bas, ou retirez le légèrement) pour le trouver. Tu verras peut-être au centre de ton col de l’utérus une muqueuse orangée : c’est la muqueuse utérine, qui peut – ou non – se montrer selon des changements hormonaux.

Comme durant l’auto-examen vulvaire, tu es à la recherche de taches, rougeurs, bosses ou coupures. Effectuer régulièrement un auto-examen vaginal permet de reconnaître plus facilement les changements qui peuvent être le signe d’infections, mais il ne se substitue pas au frottis (examen gynéco qui sert à dépister le cancer du col de l’utérus), à réaliser tous les trois ans après 25 ans.

© Alice Does

Si ton spéculum est à usage unique, tu peux le jeter. Sinon, tu peux le nettoyer à l’eau chaude et au savon. Si tu suspectes une infection, laisse-le tremper dans de l’alcool à friction pendant vingt minutes. Ca y est, tu l’as fait. Félicitations !

Eva-Luna


Sources

Cervical self-exam, Emma Goldmann Clinic

Vulvar self-exam, Dartmouth-Hitchcock Women’s Health Ressource Center

Femmes noires torturées en gynécologie : une tragédie méconnue, Sandrine D. sur nofi.fr

#MamanNoire, Racialisation de la santé reproductive des femmes noires, Mrs Roots

La racisation des patientes : les femmes “africaines”, Clumsy Mummy

Féminisme et gynéco : Herstory, Gyn&Co

Le ventre des femmes, Françoise Vergès

Sorcières, sages-femmes & infirmières, Barbara Ehrenreich et Deirdre English