La symbolique des règles dans l’histoire féministe

La symbolique des règles dans l’histoire féministe


Peinture de l’artiste Sarah Naqvi.

Hier, elles étaient sales. Aujourd’hui, on leur dédie des tableaux, des poèmes, des livres et même des magazines : notre perception des règles, profondément liées à la féminité dans l’imaginaire collectif, a bien changé, même si elles sont encore stigmatisées. Et le féminisme n’y est pas pour rien, après des années de combat pour la normalisation du corps féminin. D’un silence gênant à une abondance d’idées et d’actions, voici un petit résumé de la symbolique des règles dans l’histoire des luttes féministes.

L’arrivée des menstrues dans les débats féministes est très tardive : les premiers mouvements d’émancipation des femmes, du XIXe au milieu du XXe siècle, se concentrent sur celles-ci en tant que personnes sociales, c’est-à-dire leurs droits au vote, au travail, et à l’éducation. Très ancrés dans les traditions religieuses qui considèrent les fonctions corporelles, et plus particulièrement les fonctions dites féminines, comme sales, le sujet n’est pas – ou très peu – abordé. Il serait en effet jugé trop choquant par la société de l’époque. L’une des seules personnes tentant de briser ce silence gêné est Annie Besant, qui en 1832 publie un livre sur la contraception avec l’aide de Charles Bradlaugh, Fruits of Philosophy : l’ouvrage est alors condamné pour son obscénité et sa vente est interdite aux États-unis, alors qu’il a un succès fulgurant en Angleterre. Il faut attendre un demi-siècle, après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, pour que le sujet soit enfin abordé sérieusement.

Annie Besant.

Les menstrues comme essence féminine

Au début des années 1960, les revendications féministes changent du tout au tout. La libération sexuelle se faisant, les débats se tournent de la femme sociale à la femme physique, et vers la contraception, le droit à l’avortement. Les féministes s’interrogent donc sur le corps dit féminin, l’image et les stigmas liés à celui-ci.

Le mouvement écoféministe, notamment, va comparer l’exploitation de l’environnement à l’oppression patriarcale. Très populaire aux États-unis et en Europe durant la Guerre Froide, l’écoféminisme s’oppose aux armes nucléaires et prône un retour pacifique à une société proche de la nature. Leur symbole devient donc celui de Mère Nature, divinité protectrice et paisible qui comme les femmes, a le pouvoir de donner la vie. Les écoféministes placent le pouvoir des femmes dans leur capacité à enfanter, qui serait l’origine de leur force et l’essence de leur féminité.

Les règles deviennent alors un symbole fort dans le féminisme, et de la peinture rouge est souvent utilisée durant des actions ou manifestations. Elle porte en elle une double signification : le sang représente la violence patriarcale dont sont victimes les femmes, mais également les règles, et donc leur puissance reproductive. Quand il est représenté, le sang menstruel  symbolise à la fois la violence dont sont victimes les femmes et la force dont elles font preuve. Cette symbolique menstruelle va se démocratiser , et de nombreuses artistes féministes vont commencer à utiliser le sang des règles – vrai ou faux – dans leurs oeuvres. Gina Pane, entre autres, exprime la violence de la condition féminine à travers des propres blessures, dans plusieurs de ses oeuvres où elle mêle sang et lait maternel.

Gina Pane.

Les vagues féministes suivantes vont très vite dénoncer l’utilisation excessive de symboles comme le sang menstruel : la vision écoféministe du corps féminin est en effet très essentialiste, puisqu’elle réduit les femmes à un organe et une fonction reproductrice, alors que le féminisme essaie d’élargir le champ des possibles pour les femmes. Cette vision invisibilise également toutes les femmes qui ne peuvent pas enfanter ; les femmes transgenres, les femmes ménopausées, les femmes stériles…

 

Pour une vision saine du sang des règles

Aujourd’hui, les règles n’ont nullement disparu des débats féministes, bien au contraire. Mais l’appréhension de celles-ci a changé : elles ne sont plus utilisées pour illustrer la condition féminine, mais plutôt dans une perspective empouvoirante, et également une volonté pédagogique et de santé publique. Cette nouvelle perception permet d’inclure toutes les femmes dans les luttes, là où avant elles étaient invisibilisées.

Les artistes et militantes contemporain·e·s effectuent en ce moment un travail d’éducation sur deux axes :

  • un axe physique et médical qui porte sur l’éducation aux différentes types de protections périodiques, et sur les maladies liées aux règles telles que l’endométriose,
  • un axe moral, qui porte sur les stigmas concernant les règles et qui a pour but de permettre aux personnes ayant leurs règles de les vivre sans en avoir honte

Ce double travail aboutit à une multitude de représentations et d’initiatives par rapport aux menstruations, qu’elles soient artistiques, comme dans les oeuvres de Sarah Naqvi, qui transforme les règles en fleurs, en cristaux ou en broderie, ou éducatives, comme le magnifique livre Ceci est mon sang d’Elise Thiébaut, qui raconte avec humour toutes les histoires et les pratiques qui entourent les règles, hier et aujourd’hui.

Il est donc temps de se réjouir de l’avancée de la réflexion sur les règles dans les milieux féministes, où chacun·e peut enfin se sentir libre de les avoir, ou non, de les adorer, ou de les détester.

Eva-Luna.


Quelques lectures pour approfondir :

Reclaim, recueil de textes écoféministes, choisis et présentés par Emilie Hache

Ceci est mon sang, Elise Thiébaut que tu peux acheter sur notre boutique !

Art et féminisme, Helena Reckitt et Peggy Phelan.